Libre opinion de Joseph Gimbert, ancien directeur du Cnesss de Septembre 1983 à Décembre 1984.
Ma génération a eu la chance de travailler dans une institution qui avait de la considération pour ses dirigeants en leur laissant une grande liberté d’action. J’ai voulu partager cette passion pour la Sécurité Sociale en réalisant depuis septembre 2011 une centaine d’articles dans le journal de la Haute-Loire. Il est difficile d’en mesurer l’impact mais les retours très positifs de la part de nombreux lecteurs m’ont permis de saisir l’immense attente des Français conscients des enjeux et avides d’ informations sur ce sujet qui les concerne au quotidien.
L’Europe demeure l’une des premières puissances économiques au monde en combinant de façon harmonieuse économie et social, famille et entreprise, humanisme et organisation centralisée, finance privée et finance publique. La France et ses voisins, restent encore les derniers modèles de ce bon équilibre qui a permis, avec l’école, l’émergence d’une société où l’individu a toutes les chances de réussir par le travail dont fait partie la Sécurité Sociale. Cette dernière est la pierre angulaire d’une civilisation de la liberté par l’autonomie, ne laissant pas l’argent être le seul moyen d’échapper à des risques majeurs et de progresser dans l’échelle sociale.
Sous la pression de la mondialisation de l’économie et de la finance, face à une Europe un peu perdue, notre modèle social éclate et perd ses repères. La Sécurité Sociale est montrée du doigt comme principale cause des difficultés économiques que rencontre le France. Face à ce syndrome de culpabilité on ne décèle, hélas, aucune réaction en interne de la part des gestionnaires de la Sécurité Sociale. Les attaques récentes sur son financement au travers des décisions concernant la CSG et sur sa propre existence par la fusion annoncée de la loi de financement de la Sécurité Sociale et de la loi de finance en sont les dernières illustrations.
Dans ce contexte le CESS, le CNESS puis l’EN3S ont formé d’excellents gestionnaires reconnus pour leur efficacité. Les dirigeants des Caisses de Sécurité Sociale ont parfaitement maîtrisé les nombreuses évolutions des missions dans chacune des quatre branches, en utilisant les techniques modernes et en maintenant un rapport aux assurés de très haute qualité. Ces performances ont été réalisées dans un contexte de réduction des coûts de gestion. Ce savoir-faire français a été reconnu à l’international ; la politique de coopération mise en place par l’école est un succès. Certes l’EN3S reste une école de gestion spécialisée mais elle est pour moi l’un des rares espoirs capable de retourner la situation. Les grandes évolutions dans l’histoire sont souvent d’origine culturelle, la plupart portées par une grande école.
1- Les missions :
L’EN3S forme d’excellents gestionnaires mais elle doit également penser et agir sur la santé, la famille, les retraites. Je suis triste de voir le Président de la République faire découvrir sa vision de la politique santé aux assemblées annuelles de la Mutualité. Nos directeurs n’ont-ils aucune idée des besoins de la population en ce domaine ? Pourquoi ne pas réfléchir à la généralisation du système d’Alsace Moselle sur tout le territoire ? Ne connait-on rien sur la question des retraites ? De la Famille ?
2- L’information, la communication, la formation :
La Sécurité Sociale dispose d’un excellent réseau sur tout le territoire. J’écrivais le 25/09/2011 dans le journal l’Eveil de la Haute-Loire : «informer et éduquer le citoyen est un devoir de démocratie ; il est absolument indispensable si l’on veut engager de vraies réformes de fond qui s’imposent. Pour cela, en relation avec l’Etat, les dirigeants de la Sécurité sociale devraient, mettre en place un plan de communication et de formation sortant du cercle de quelques initiés pour atteindre tous les citoyens. Ainsi pourrait être relancée l’idée très concrète d’introduire l’enseignement et l’apprentissage de la Sécurité Sociale à l’école et d’élaborer en liaison avec l’université et les écoles de commerce un plan complet de formation supérieure (licence, master, recherche) en utilisant toutes les formes possibles : diplôme, formation continue, conférences…). » L’EN3S par sa liberté de pensée et d’action peut être la tête de pont d’une telle opération en redonnant leur vrai sens aux mots assurance, assistance, aide sociale, universel, cotisation, contributif…
3- La recherche, l’innovation :
Parlant de l’EN3S j’écrivais le 15/09/2012 : « l’EN3S devrait devenir la référence en matière de recherche dans le domaine de la protection sociale. Les gestionnaires de terrain sont absents des grands débats sur le financement, la retraite, la santé, la famille ; un partenariat à grande échelle avec l’université permettrait de combler le vide en quelques mois…si la volonté existe ». L’un des domaines qui doit être privilégié est le droit. Comment peut-on rester insensible au contenu de la loi ANI, applicable au 1/1/2016, confiant à l’assurance privée l’avenir de notre santé ? Comment ne pas être alerté par le prélèvement à la source de l’impôt sur les revenus, première étape technique à la fusion tant désirée par l’Etat de la CSG et l’impôt sur le revenu ? Cerise sur le gâteau, comment ne pas être juridiquement effrayé par la récente décision d’augmenter la CSG pour payer le régime universel chômage et l’augmentation des salaires ?
4- La gouvernance doit faire l’objet d’une réflexion approfondie.
Dans une chronique du 30 octobre 2011 intitulée, « la Sécurité Sociale plutôt bien gérée mais mal gouvernée, » je suggérais les pistes de réflexion suivantes : « donner plus de cohérence à la gestion : un seul ministre interlocuteur de la Sécurité Sociale , un seul et vrai patron à la Sécurité Sociale bien identifié du public et responsable ; redéfinir les contours d’une autre forme de gestion pour la partie assurancielle en associant plus étroitement les payeurs (et pas simplement les organisations patronales et syndicales) » en utilisant comme base de discussion le système des grandes entreprises direction/ conseil de surveillance.
5- Le politique.
Dans les années 1980, le CNESS m’avait demandé d’intervenir sur le sujet suivant : « la fonction politique des agents de direction ». Les élèves d’abord un peu surpris avaient très rapidement adhéré au discours. Le champ politique ne peut être laissé vacant.
Je sais que je m’inscris dans le sens contraire de l’évolution naturelle des choses qui veut des dirigeants aptes à appliquer des process et à répéter des éléments de langage et non de vrais ingénieurs du social qui recherchent, innovent, conçoivent, mettent en œuvre, expliquent.
Pour résumer l’ensemble de ces humbles suggestions je dirais que l’EN3S doit devenir un lobby intellectuel, un lieu d’influence et de pouvoir. La mise en œuvre d’une telle orientation ne me paraît ni très coûteuse ni très difficile. Il suffit d’une forte volonté politique des acteurs de notre Sécurité Sociale.